Déambulation

Chaque déambulation nous sollicite et offre matière à rêverie ou à méditation. Comme un signe ou un appel, quelque chose nous happe sur notre chemin à chacun de nos pas.

Je marche sur un sentier. Pas un caillou, pas un arbre, pas une brindille qui ne soient à même de faire surgir ce que je n’attendais pas, même ce vieux vélo posé contre un mur.

Daphné Anselm Kiefer

                                                                    Daphné ( Anselm Kiefer)

Chaque mousse me parle et dessine des formes gardées en mémoire. Minérales, végétales ou vivantes, elles deviendront les canevas de ce que nous verrons encore. Chaque œuvre d’art sera la reconnaissance inconsciente de ce que nous avons déjà vu, de ce qui était déjà dessiné en nous.

À chacun de nos pas, nous rencontrons ce que nous possédons déjà au fond de nous, et dont nous sommes dépositaires.

Je me vois, me reconnais, me retrouve dans les flaques d’eau boueuse sur mes chemins hivernaux, dans la surface brillante des plaques de glaces ou dans l’eau vive des ruisseaux en été. Le ciel s’y reflète et notre intuition artistique nous vient des formes et des contours que nous avons croisés partout sur notre parcours.

Der verlorene Buchstabe ( Anselm Kiefer)

                                                 Der verlorene Buchstabe ( Anselm Kiefer)

Me revient la vision de toutes les branches tordues, des rochers dans lesquels l’enfant que j’étais entrevoyait des têtes d’animaux ou de personnages énigmatiques, de tous ces nuages qui prenaient des contours d’objets connus ou de personnes, des plis du rideau qui s’agitaient la nuit dans ma chambre.

La promeneuse ranime sur son passage et révèle, telle une magicienne redonnant des couleurs à tout ce qui l’entoure, toute cette vie imaginaire de l’enfant qu’elle était, l’enfant qui savait transformer les apparences, imaginer des mondes dans des traces de cendres, de rouille ou dans quelques branchages desséchés.

Anselm Kiefer Pompidou-7

                                                Anselm Kiefer Centre Pompidou février 2016

 

 

 

 

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Je me souviens de maisons

Il s’est ancré en moi certains traits de toutes les maisons que j’ai connues, celles de ma famille, peu nombreuses, à Paris ou en Alsace, les miennes ou celles de mes amis que j’ai partagées quelques jours avec eux, toutes celles que j’ai imaginées en lisant Balzac, Tolstoï, Chateaubriand ou Duras et tous les écrivains que j’aimais. Ils m’invitaient dans leur maison ou celle de leurs personnages, je partageais leurs lieux le temps de ma lecture, à Balbec, ou à Combourg. Toutes celles aussi dont j’ai rêvé, où j’ai imaginé vivre pendant quelques instants.

Elles reflètent parfois les traits de leurs propriétaires, tolèrent une approche discrète de la personnalité de chacun d’eux. Vides ou saturées d’objets, remplies d’étagères et de bibliothèques bourrées de livres ou de bibelots, elles indiquent bien sûr le milieu social et les goûts de leurs habitants, mais disent aussi contre quoi nous voulons tous nous préserver, ce qui ne doit pas pénétrer dans ce lieu protégé, ce que nous craignons venant de l’extérieur. J’ai en moi des façades fleuries derrière lesquelles je cache mes déceptions les plus secrètes, j’ai des toits qui m’abritent et me protègent des intempéries, j’ai des chambres cachées, des abris en coin et recoins tapissés de rideaux et de lourdes couvertures, et j’ai des fenêtres qui s’ouvrent sur un ciel infini, sur des prés toujours verdoyants, j’ai des portes que j’ouvre ou referme selon mes humeurs, des escaliers intérieurs qui mènent vers des soupentes, et des mansardes poussiéreuses.

J’ai en moi d’immenses baies vitrées qui s’ouvrent sur des montagnes aux sommets enneigés, de larges fenêtres aux percées béantes mais aussi de minuscules lucarnes découpant un espace exigu dans le ciel, et des fenêtres étroites dans des maisons très anciennes.

Maison Roussillon

Maisons Roussillon

On les trouve tout au bout de sentiers sombres dans des forêts de sapins, ou bien près d’un ruisseau, d’une rivière, à quelques pas de la mer ou des pistes enneigées des flancs de montagne, que ce soient des refuges de montagne rudimentaires mais tellement bienvenus après tant d’efforts pour y accéder, ou des maisons radieuses dans des îles grecques au bord de la mer Égée, pénétrées de soleil, aux terrasses brûlantes j’y trouve le repos et le soulagement après une marche harassante ou un voyage mouvementé.

Maison Corse

Maisons en Corse

L’écriture est-elle susceptible de me rendre ces maisons ? Peut-elle mettre au jour l’influence qu’elles ont eue sur moi au moment même où je les occupais ? Comment faire renaître l’atmosphère particulière de chacune d’elles?

Maison Bali 3

Intérieur maison Bali

Aucune photo ne me rendra jamais ces fragments de temps que j’ai laissés entre tous ces murs. Écrire c’est jeter des pierres pour retrouver mon chemin, c’est retrouver une géographie, une carte un peu effacée de mes parcours.

Maison Bali

Maison Munduk Bali

Comme le vent soulève la poussière du chemin à notre passage, parfois nous sera révélé longtemps après, quand on ne s’y attend pas, au détour d’un chemin, un parfum familier, quelques notes de musique, les traits d’un visage, ou un mot entendu en passant alors des images surgiront, avec elles des émotions restées entre les murs de ces maisons anciennes.

L’enfance des lieux

Un jour j’ai fait un film, un documentaire sur la village d’origine de la famille de ma mère. J’ai passé toutes mes vacances hiver comme été dans ce village. Là habitaient mes grands-parents maternels, mes oncles et tantes, mes cousins, là mes parents ont pris plus tard leur retraite. J’avais interviewé des habitants, ceux qui avaient quitté leur village d’enfance, étaient partis ailleurs pour faire leur vie et étaient revenus ici passer leurs vieux jours après une très longue absence.

J’avais interviewé dans le cimetière juif du village un homme rescapé des camps de concentration. « Je sais où sont tous mes meubles » m’avait dit cet homme, devenu adjoint au maire du village.

J’y retourne souvent voir ma mère à l’Ehpad, la réalité lui échappe désormais.

Le village de ma famille s’appelle Sarre-Union. Le vieux cimetière juif est en face de l’Ehpad. On y accède par une petite route.

J’y suis retournée. La neige et la pluie se mêlaient. Il faisait froid. C’était encore l’hiver dans toute sa rigueur.

Un homme est venu depuis la Meuse, il est responsable du cimetière juif de sa commune. Il a été ainsi que sa femme un « enfant caché ». Un couple avec deux jeunes adolescentes. Ils sont sur le chemin de retour à Strasbourg. Ils n’ont pas pris leurs manteaux en sortant de voiture, sont transis de froid et grelottent, mais n’arrivent pas à quitter le lieu. « C’est toute la société qui est atteinte », me dit la mère. Les adolescentes restent muettes, elles regardent. Une femme d’un village voisin avec sa mère. Elle est indignée, en colère, elle parle de la municipalité et des élections. Puis le représentant des juifs du village dont toute la famille est enterrée dans le cimetière est là ainsi qu’un couple de gens âgés. La femme parle en alsacien: « ça fait mal ».

Je me souviens encore.

La luge, le vélo, le papier journal dans des chaussures trempées par la neige, les balades le long de la Sarre, et cette langue apprise dans les jeux, cet alsacien avec lequel ma mère à Paris,  commençait ses phrases pour les terminer en français voyant que les gens ne la comprenaient pas. Tout est toujours là et tout est brisé en mille morceaux, comme ici les pierres et les marbres éclatés. Je pleure aujourd’hui sur ces éclats de moi-même éparpillés dans l’herbe sur toute la surface du cimetière, sur ces morceaux qui gisent là, sur mes souvenirs souillés et endoloris. Je ne suis pas née à Sarre-Union. Ma mère oui, mes grands-parents maternels aussi, mes oncles et tantes, mes cousins et leurs enfants aussi.

Je venais dans ce village en vacances. Chaque année, toutes les vacances scolaires. Je ne suis pas de ce village. J’y reviens pour ma mère régulièrement. J’ai pris des photos, mais pas plus que toutes celles que j’avais vues auparavant elles ne rendent compte de ce qu’on voit ici. De la douleur de cette vision, de l’acte de voir, et de la présence douloureuse dans ce lieu profané.

Cimetière Sarre-Union

Cimetière Sarre-Union

Cimetière Sarre-Union

Cimetière Sarre-Union

Cimetière Sarre-Union

Cimetière Sarre-Union

Le Kirchberg, réminiscence

Errances en Alsace, juillet 2013. Storylines.

Le kirchberg. Errances en Alsace, juillet 2013. Storylines.

 

Le kirchberg. Errances en Alsace, juillet 2013. Storylines.

 

J’ai trouvé une table et un banc sous un érable face à la petite église toute blanche du Kirchberg, à une altitude de plus de 340 mètres au-dessus des villages. Elle a été restaurée récemment. Un endroit paisible éloigné des rumeurs qu’on perçoit pourtant dans le lointain lorsque l’on prête l’oreille. C’est là que je m’installe pour y écrire des notes, des phrases décousues, des notations et des fragments pour exprimer un besoin, pas toujours très pressant, d’écrire. Pour essayer d’attraper quelques mots.

Comme tous les jours je me suis évadée. Si je veux rester encore un peu en compagnie de ma mère, je dois m’éloigner régulièrement de sa maison pour ne pas suffoquer. Elle joue, sans vraiment en être consciente, les très vieilles dames insupportables, ne fait plus rien, perd la mémoire immédiate, s’accommode d’une passivité amorphe et certainement dépressive. Je m’enfuis chaque jour, c’est le prix de ma survie.

Descendre au cœur même de la tristesse et du découragement, les laisser tels des insectes bourdonnants envahir l’espace, se coller sur les murs du jardin et se répandre autour des haies. Peut-être finiront-ils par s’envoler me laissant, soulagée et tranquille, consolée à la vue de ces minuscules points qui s’éloignent à l’horizon. Je goûterai alors le silence, la vacuité de l’absence, cette délivrance qui me laissera étourdie.

Dans le jardin de la maison de ma mère, je lutte contre le poids de sa présence dans une pièce de la maison. Elle est perdue dans des pensées vagues et jamais dîtes, regarde ses mains pendant des heures,et sans la voir, je devine ses gestes. Elle caresse le dos de ses mains, est-ce pour vérifier qu’elle est encore en vie ? Pour se rassurer parce que sa peau la protège encore ? Pour constater l’inexorable apparition de ces vilaines taches brunes ? Le sentiment de sa présence muette retient les mots qui ne viennent pas sur ma page. Le déjà mort. Toutes ces vies qui n’ont pas eu lieu, tous ces moments dans nos vies qui n’ont pas existé, empêchent les mots de venir. Déni, frustration, non-vécu, non-dit, c’est tout cela qui emplit l’air de la maison et du jardin. Ses chagrins, ses frustrations, ses regrets tout ce qu’elle ne peut pas dire clôt mes lèvres et sature l’atmosphère.

Je suis devenue, par une mystérieuse opération de renversement du temps, une sorte de tutrice de ma mère, je garde un œil ouvert simultanément bienveillant et méfiant sur chacun de ses gestes, guettant dans ses paroles la trace d’une incohérence,  d’une confusion que, dans son acharnement à les nier l’une et l’autre, si bien qu’elle rend difficile presque impossible toute aide que nous pourrions lui porter.

Ne pas perdre pied. Faire comme si elle avait raison quand elle ne sait plus, ne se souvient plus ou se souvient trop bien n’avoir pas vu untel de la journée qui est pourtant passé la voir. Ça n’est pas vrai, si je te le dis. Si tu me le dis! Faire comme si. Ne rien ajouter à ses dénégations.

Je me tais et je n’écris pas. Est-ce la même chose ? Je ne veux pas écrire sur, à propos, à cause de ma mère ou pour elle. Pourtant, j’aligne quelques mots maladroitement pour dire que je ne peux pas, que je ne veux pas, je tente de vaincre mon dégoût, mon hostilité à qui ? À quoi ? Peut-être n’ai-je que ça à dire, le reste, toute construction, toute invention d’un personnage sonne creux à mon oreille en ce moment. Tous les personnages que je peux extraire de moi s’éloignent les uns après les autres, trop différents, trop proches de ce que je suis en ce moment. Pas dans le bon ton en tout cas. Ils sonnent faux. Peut-être que j’ai à (que je dois) lâcher ce que je retiens encore. Je suis bien élevée, j’ai gardé le sens de certaines conventions, j’ai des retenues littéraires qui m’étouffent et gèlent les mots qui sont en moi. » La mer gelée en nous » dont parlait Kafka. (http://editions-hache.com/kafka/kafka1.html)

Presque un personnage de fiction cette femme qui dit je et parle de sa mère. Il suffirait de peu de choses pour que l’histoire ait lieu, pour qu’une fiction existe et que les lieux, les personnages aient une existence propre.

 

Photos Mathias Walter (Errances en Alsace, juillet 2013. Storylines)

 

J’ai quitté la Sicile

J’ai quitté la Sicile il y a quelques jours seulement.

Je n’oublie rien de cette  terre de souvenirs où tant de civilisations se sont superposées en strates successives, où tant de peuples ont laissé leurs empreintes sur les chemins, dans les paysages, sur des visages où se reflètent encore les traits anciens, dans les regards tournés vers des lointains de la mémoire , où l’on sent pointer, affleurer sans cesse des souvenirs toujours vivants et se propager à nos oreilles comme un bruissement, le murmure du temps,et  où notre histoire joue à cache cache dans les plis et les replis du relief

Ma mémoire laisse émerger tout ce que je ne savais pas qu’elle tenait jalousement renfermée, ce qu’elle protégeait à mon insu, tant de rencontres, de frôlements imperceptibles d’êtres qui chuchotent sur mon passage  et laissent échapper des sonorités anciennes que je ne déchiffre plus. La tête me tourne à penser à ces milliers d’existences, aux mots oubliés et perdus de toutes ces langues que les vents ont portées.

Je n’oublie rien de la Sicile.

 

Chaque pas que je fais soulève une poussière d’images libérées des lampes magiques des contes de fée,

Selinonte

autour de moi des bateaux phéniciens voguent encore sur les mers,

et mon pied heurte des pierres polies par des hordes d’envahisseurs au cours des siècles,

le vent transporte des langues et des dialectes de ces peuples qui cherchent encore à nous transmettre le souvenir de leur existence.

Non je n’oublie rien de la Sicile.

Fragments

Je relis de vieux carnets, d’anciens cahiers remplis de phrases pas toutes achevées, de paragraphes entiers parfois, des tentatives à glisser dans des projets en cours. Mes cahiers se sont empilés au fil des ans sans que jamais je ne les relise. Relit-on ses brouillons ? Reprend-on des phrases tirées de ses lectures oubliées ? Cherche-t-on à utiliser des notes anciennes quand le temps a passé ? S’acharne-t-on à faire renaître des bribes de rêves enfouis, à reprendre des tentatives abandonnées ou des extraits de livres qu’on ne sait pas avoir lus, un jour ?

Me plongeant ainsi dans des époques passées de ma vie, je vais à la rencontre d’une personne que je ne reconnais pas, dont je ne sais pas si je l’ai connue un jour. Je ne suis pas centaine d’avoir gardé le souvenir de cette inconnue. Mais je suis bien obligée de penser qu’elle a été moi un jour puisque je possède toutes ces preuves écrites, ces fragments accumulés, attestant d’une activité quotidienne de lecture et d’écriture, peut-être la genèse d’un projet à venir demeuré dans les limbes, coincé entre toutes ces pages oubliées.

Une part de moi-même reste en sommeil dans un lieu où je n’avais plus accès, une chambre dont j’avais perdu la clé et je m’autorise à croire qu’à de rares moments je pourrais à nouveau éveiller quelques désirs passés.

Feuilletage

En descendant la rue des Martyrs, je levais souvent les yeux au même endroit.

Derrière les vitres de hautes fenêtres d’un atelier, j’apercevais alors des masques gigantesques en papier mâché entreposés là, des personnages de carnaval et de corso fleuri, figures grotesques inanimées.

L’immeuble a été rasé depuis peu et, sur le mur sont apparues, réapparues plus exactement deux grandes affiches publicitaires protégées par du plastique.  Ripolin et la liqueur Bénédictine. Des vestiges des années 50 ou 60. Parfaitement intactes avec des couleurs que l’on devine encore brillantes et vives derrière le plastique qui les protège.

Une coupe verticale dans le temps pour une véritable archéologie des villes, le feuilletage des pages d’un livre qui nous transporte brusquement dans un autre temps figé mais encore lisible.

Jusqu’au bout du quai

Elle ne l’avait pas remarquée tout de suite.

Elle était assise dans un coin reculée du restaurant, seule à une table, tassée,   la tête rentrée  dans les épaules, à peine reconnaissable, le nez pointé vers la table comme si elle était sur le point de s’endormir, une mèche de ses cheveux blancs effleurait la table.

Elle s’était approchée de la vieille femme lentement pour ne pas l’effaroucher.

Ce n’est qu’au bout de quelques instants, alors qu’elle s’était déjà assise, que la vieille femme avait remarqué sa présence à moins qu’elle n’ait attendu qu’elle soit assise pour faire comme si elle venait de la voir tandis qu’elle était plongée dans ses pensées.

Elle n’a pas changé, s’était-elle dit.

Impossible de savoir si elle jouait la comédie.

Ah c’est toi?

Comme si elle venait de la quitter, à peine quelques instants auparavant. Comme s’il était normal et habituel qu’elles se retrouvent là toutes les deux dans le café d’une petit ville de bord de mer qu’elles ne connaissaient ni l’une ni l’autre.

Elle proposa de sortir et de faire quelques pas sur le quai en direction de la jetée.

La vieille femme se leva et la suivit sans faire de difficultés. Elle se tenait droite à présent, regardait devant elle comme si elle s’attendait que quelque chose surgisse  de cet espace vers lequel elles allaient s’avancer ensemble jusqu’au bout du quai, là-bas, vers la jetée.

Le vent du large fouettait les visages, les embruns obligeaient les deux femmes à plisser les yeux  tandis que le soleil d’été brûlait la peau de leur visage.

Elles marchaient, s’éloignaient ensemble.

La vieille femme rompit le silence, parla, parla dans un flux de paroles étourdissantes que rien ne pouvait interrompre. Elle avait vécu ici à un moment de sa vie, avait habité là au bord de la mer, toute seule, bien avant la naissance de sa fille, c’est là maintenant qu’elle voulait revenir, rester là pour toujours car c’est là qu’elle avait été heureuse, que ses jours s’étaient écoulés paisiblement à regarder la mer et à courir sur la plage. C’était la maison de sa grand-mère et elle devait revenir et reprendre cette maison qui était à elle, maintenant.

Nous allons marcher jusqu’au bout du quai, dit celle qui l’accompagnait, jusqu’à la jetée et nous reprendrons le train.

Fallait-il lui dire que jamais elle n’avait connu cette ville du bord de mer, qu’elle n’avait pas vécu avec cette grand-mère dont elle inventait soudain l’existence, que sa vie s’était déroulée tout entière à Paris depuis sa naissance jusqu’à maintenant. Quelle vague l’avait submergée, quel besoin soudain et impératif d’un ailleurs s’ouvrant sur le large avait poussé cette vieille femme à prendre un train pour partir, elle qui n’avait jamais voyagé seule.