D’où viennent mes mots ?
De quelle langue ancienne émergent les mots de cette langue hachée, blessée, hésitante, meurtrie ? De quels tréfonds inconnus de ma mémoire désordonnée ?
Le miroir argenté de la surface glacée d’un lac retient prisonnier les plus infimes manifestations d’une vie aquatique jusqu’à ce qu’un soudain dégel libère enfin les mouvements larvés, réveillant d’une torpeur profonde des vies engourdies et, comme sous la lentille grossissante d’un microscope, nous découvrons une vie frétillante et grouillante insoupçonnée jusque-là.
Écrire n’est-ce pas briser cette pellicule de glace sous laquelle nous maintenons enserrés nos peurs, nos terreurs les plus anciennes, extirper les mots d’un fond nébuleux fait de résidus de notre passé, se souvenir de profondes forêts où notre langue s’est frottée au contact de la dureté rocheuse d’une matière minérale abrupte, n’est-ce pas faire apparaître des mots d’herbe et de mousse, des mots caillouteux ou volcaniques, des mots glacés du froid des profondeurs, des mots de vase, de marécages, et de boue surgis d’un magma primitif ?
Mais c’est aussi tenter d’attraper des éclats colorés de mots arcs-en-ciel.
Des mots d’une autre langue me remontent dans un souffle, faits de deuils lointains que je n’ai pas vécus, des mots à l’odeur d’écorce, de mousse et de feuilles mortes.
Je me souviens encore d’une langue qui flottait dans l’air chaud de l’été, ou sur les pentes enneigées des champs, une langue de l’enfance et de vacances.
Ne serions-nous pas toujours à la recherche de cette langue perdue oubliée et dans la tentative désespérée d’une traduction idéale sans y parvenir jamais d’où nos vains efforts sans cesse recommencés ? Dès que nous pensons nous être rapprochés , nous devons reprendre notre recherche pour parvenir au plus près de ce que nous ignorons, nous persistons à fouiller et creuser et parfois, si nous avons de la chance, nous découvrons ce que nous ne savions pas que nous cherchions.