Jusqu’au bout du quai

Elle ne l’avait pas remarquée tout de suite.

Elle était assise dans un coin reculée du restaurant, seule à une table, tassée,   la tête rentrée  dans les épaules, à peine reconnaissable, le nez pointé vers la table comme si elle était sur le point de s’endormir, une mèche de ses cheveux blancs effleurait la table.

Elle s’était approchée de la vieille femme lentement pour ne pas l’effaroucher.

Ce n’est qu’au bout de quelques instants, alors qu’elle s’était déjà assise, que la vieille femme avait remarqué sa présence à moins qu’elle n’ait attendu qu’elle soit assise pour faire comme si elle venait de la voir tandis qu’elle était plongée dans ses pensées.

Elle n’a pas changé, s’était-elle dit.

Impossible de savoir si elle jouait la comédie.

Ah c’est toi?

Comme si elle venait de la quitter, à peine quelques instants auparavant. Comme s’il était normal et habituel qu’elles se retrouvent là toutes les deux dans le café d’une petit ville de bord de mer qu’elles ne connaissaient ni l’une ni l’autre.

Elle proposa de sortir et de faire quelques pas sur le quai en direction de la jetée.

La vieille femme se leva et la suivit sans faire de difficultés. Elle se tenait droite à présent, regardait devant elle comme si elle s’attendait que quelque chose surgisse  de cet espace vers lequel elles allaient s’avancer ensemble jusqu’au bout du quai, là-bas, vers la jetée.

Le vent du large fouettait les visages, les embruns obligeaient les deux femmes à plisser les yeux  tandis que le soleil d’été brûlait la peau de leur visage.

Elles marchaient, s’éloignaient ensemble.

La vieille femme rompit le silence, parla, parla dans un flux de paroles étourdissantes que rien ne pouvait interrompre. Elle avait vécu ici à un moment de sa vie, avait habité là au bord de la mer, toute seule, bien avant la naissance de sa fille, c’est là maintenant qu’elle voulait revenir, rester là pour toujours car c’est là qu’elle avait été heureuse, que ses jours s’étaient écoulés paisiblement à regarder la mer et à courir sur la plage. C’était la maison de sa grand-mère et elle devait revenir et reprendre cette maison qui était à elle, maintenant.

Nous allons marcher jusqu’au bout du quai, dit celle qui l’accompagnait, jusqu’à la jetée et nous reprendrons le train.

Fallait-il lui dire que jamais elle n’avait connu cette ville du bord de mer, qu’elle n’avait pas vécu avec cette grand-mère dont elle inventait soudain l’existence, que sa vie s’était déroulée tout entière à Paris depuis sa naissance jusqu’à maintenant. Quelle vague l’avait submergée, quel besoin soudain et impératif d’un ailleurs s’ouvrant sur le large avait poussé cette vieille femme à prendre un train pour partir, elle qui n’avait jamais voyagé seule.

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Promenades

Musée Würth Erstein

Musée Würth à Erstein

Je pourrais dire que je suis très occupée, que je travaille comme une damnée à un autre projet, que mon emploi du temps ne me permet pas, que les autres prennent tout mon temps.

Mais il n’en est rien en ce moment.

Il n’y a que la difficulté d’être présente et de se manifester régulièrement. Une forme de défaillance, car il est douloureux parfois de résister à l’envie de chercher des détours dans les chemins que nous traçons pour nous même. Parvenir à avancer malgré les obstacles, les accidents de parcours, les tremblements de terre dans le monde et les mauvaises nouvelles qui arrivent de partout. Maintenir le cap coûte que coûte malgré toutes les défaillances, les nôtres d’abord, celles de la nature ou des systèmes parfois.

Tout cela pour arriver finalement là où nous voulions aller de toute façon. Alors pourquoi ce défaut? Cette défaillance? Ces multiples routes empruntées pour éviter le chemin, celui que nous voulions prendre, que nous devions prendre, celui-là et aucun autre.

Mais j’avance en lisant sur tous mes chemins détournés des lettres et des correspondances.

George Sand, Nelly Sachs et Paul Celan

Anselm Kiefer au Musée Würth

Anselm Kiefer au Musée Würth

Des pierres sur les sentiers de montagne

Récemment descendue des cimes des Pyrénées, je reprends mon souffle dans les rues et sur le macadam de la grande ville.

Fini l’effort parfois douloureux, finis les encouragements que l’on se fait pour tenir pendant les longues heures de marche dans la neige, sur les roches branlantes, dans l’eau des cascades qui se déverse et sur les cailloux qui roulent sous le pied.    Fini de chercher son équilibre à chaque pas. Fini de s’encourager : « il suffit de mettre un pied devant l’autre et l’on arrivera bien à un moment ou à un autre ». Finies aussi les découvertes de paysages gigantesques ; murailles de pierres à Ordessa, Gavarnie, fini de lever les yeux et d’être transportée par cette présence rocheuse qui m’entoure et par l’immensité du ciel ou de les baisser sur ces champs d’edelweiss inattendus tant ils sont nombreux.


Il me faut à présent retrouver l’énergie et le souffle nécessaires pour jeter des mots tout au long de mes chemins à venir comme ces pierres jalonnant les sentiers de montagne sur lesquelles je cherche avec précaution un appui pour avancer.



En marchant sous la pluie


Que devenons-nous lorsque nous partons en voyage ?

Je laisse quelque chose, peut-être même une grande partie de moi-même quand je quitte mon appartement, avec mon sac de randonnée sur le dos après avoir jeté un dernier regard angoissé sur ce que je n’emporte pas. Tout ce que je suis bien obligée de laisser derrière moi. Les moindres grammes pèsent lorsque l’on marche plusieurs jours.

Mais qu’ai-je laissé dans mon antre que je ne pouvais emporter ? Retrouverai-je ce quelque chose que je ne connais pas à mon retour, où l’aurais-je malgré moi transporté sans le savoir. Est-ce pour cela que je cherche dans la photo à trouver un peu de cet inconnu qui m’a échappé ?