Les ombres de la nuit

Les ombres de la nuit progressent lentement, s’étirent jusqu’à la cime des arbres, s’allongent le long des trottoirs, ombragent les murs des maisons et des bâtiments, voilent notre silhouette d’une cape noire. Cependant le noir complet ne viendra pas. L’absence de lumière dans la ville n’existe pas, nul recoin sombre pour se cacher comme dans les jeux de notre enfance. Le ciel gardera ses lueurs crépusculaires jusqu’à une heure avancée de la nuit.

Notre part d’ombre elle-même n’est-elle jamais mise à jour, tirée vers la lumière afin que rien ne reste caché, extirpée du plus profond vers la clarté aveuglante comme pour ces spéléologues qui remontent à la surface de la terre et restent longtemps éblouis par une lumière trop crue ? Ne nous contentons-nous pas la plupart du temps de ce clair-obscur de notre être, de cette pénombre d’un demi-jour dans lequel nous vivons, de cette lueur sur la ville la nuit ?

Gare de Lyon la nuit

Gare de Lyon la nuit

Il arrive que l’espoir d’une présence amie ou l’envie de m’évader m’amène  la nuit sur les quais déserts.

La lumière est partout, elle inonde les quais et les moindres recoins.

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Dans ces instants d’attente, dans l’instabilité et la fragilité de ce moi qui se promène entre arrivée et partance, dans le silence à peine perturbé par de rares annonces de départs ou d’arrivée de train, ou par le passage de quelques silhouettes désœuvrées à cause d’un retard annoncé,  suis-je  alors disposée à mettre en lumière la part d’ombre qui m’habite ?

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Ou bien ne suis -je, dans cette demi-clarté des villes la nuit, rien d’autre qu’un papillon effrayé, attirée par une lueur vacillante, incapable de saisir ce qui reste enfoui dans une nuit plus noire?

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Ombre et lumière

L’enfant n’avait jamais aimé l’ombre, l’irruption passagère d’une ombre l’inquiétait comme pouvait l’inquiéter le passage inopiné d’un nuage dans un ciel d’été si bleu alors que rien ne présageait l’arrivée d’une grisaille dont elle ne savait se défendre. Cela ressemblait à une menace, un pressentiment ou plus exactement le souvenir tourmenté d’un événement qui, s’il n’avait jamais eu lieu, aurait cependant pu advenir. Et la seule perspective ou probabilité de cet événement qu’elle ne connaissait pas l’effrayait. Une masse sombre, compacte comme ce nuage qui passait.

La femme venait de faire quelques pas sur la chaussée encore mouillée. La pluie s’était arrêtée aussi brusquement qu’elle avait commencé pour faire place aux chauds rayons du soleil de l’été naissant.

Elle repensait.

Elle s’arrêta un bref instant au milieu du trottoir obligeant les badauds à la contourner en manifestant leur mécontentement. Ils sont tous si pressés, se disait-elle, où vont-ils donc?  Où comptent-ils se rendre si vite?

Elle venait de se souvenir, revoyait cette lueur si  particulière d’une lointaine journée d’été, où ombre et lumière alternaient dans le ciel d’orage. Ce n’était pas l’orage que l’enfant craignait, se disait-elle, mais ce qu’il représentait, ce  violent surgissement de sensations enfouies, l’apparition de ce qui aurait dû rester caché et qui tentait de venir au jour.

L’enfant attendait le vent. Elle souhaitait cette bourrasque qui balayerait en quelques secondes toute menace imprécise.

L’enfant qu’elle était encore s’agitait toujours au souvenir lointain de cet affolement.