Les ombres de la nuit progressent lentement, s’étirent jusqu’à la cime des arbres, s’allongent le long des trottoirs, ombragent les murs des maisons et des bâtiments, voilent notre silhouette d’une cape noire. Cependant le noir complet ne viendra pas. L’absence de lumière dans la ville n’existe pas, nul recoin sombre pour se cacher comme dans les jeux de notre enfance. Le ciel gardera ses lueurs crépusculaires jusqu’à une heure avancée de la nuit.
Notre part d’ombre elle-même n’est-elle jamais mise à jour, tirée vers la lumière afin que rien ne reste caché, extirpée du plus profond vers la clarté aveuglante comme pour ces spéléologues qui remontent à la surface de la terre et restent longtemps éblouis par une lumière trop crue ? Ne nous contentons-nous pas la plupart du temps de ce clair-obscur de notre être, de cette pénombre d’un demi-jour dans lequel nous vivons, de cette lueur sur la ville la nuit ?
Il arrive que l’espoir d’une présence amie ou l’envie de m’évader m’amène la nuit sur les quais déserts.
La lumière est partout, elle inonde les quais et les moindres recoins.
Dans ces instants d’attente, dans l’instabilité et la fragilité de ce moi qui se promène entre arrivée et partance, dans le silence à peine perturbé par de rares annonces de départs ou d’arrivée de train, ou par le passage de quelques silhouettes désœuvrées à cause d’un retard annoncé, suis-je alors disposée à mettre en lumière la part d’ombre qui m’habite ?
Ou bien ne suis -je, dans cette demi-clarté des villes la nuit, rien d’autre qu’un papillon effrayé, attirée par une lueur vacillante, incapable de saisir ce qui reste enfoui dans une nuit plus noire?