Les Lumières

Le Siècle des Lumières a pris la mesure de tout dans une gigantesque observation du monde.  Il fallait classer le savoir, prendre les mesure du temps qui passe, celles de la lumière et de sa vitesse de propagation, celles du son et de ses ondes, il fallait faire l’inventaire, répertorier le monde, l’inventorier pour pouvoir mettre des étiquettes.

Musée des Arts et Métiers  Paris

Musée des Arts et Métiers Paris

On a perfectionné et multiplié les pendules, créé des instruments de mesure, confectionné des poids, prélevé des échantillons de toutes les plantes, de tous les brins d’herbe de la nature pendant cette période où l’homme voulait tout découvrir.

Musée des Arts et Métiers

Musée des Arts et Métiers

Musée des Arts et Métiers

Musée des Arts et Métiers

Combien de fois me suis-je surprise à vouloir remettre de l’ordre, classer, inventorier ce que j’étais, et à vouloir comprendre tout ce qui m’entourait ? Combien de fois ai-je été emmurée dans cette envie de savoir et d’ordre, ce besoin d’entière clarté, de pleine lumière, refusant les ombres dans la nécessité de me situer dans l’univers, pour connaître qui j’étais?

Combien de temps me suis-je ainsi fourvoyée à la recherche de certitudes éprouvées sur des chemins balisés ?

Mais aujourd’hui lorsque depuis ma fenêtre je vois le ciel de nuit et les étoiles et que, dans cette pénombre, j’écoute les rumeurs qui viennent de la ville, l’enfant des lumières que j’étais explore sa part d’ombre et s’enfonce avec délectation dans l’obscurité et le mystère. Très loin des pendules et des instruments de mesure.

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Ombre et lumière

L’enfant n’avait jamais aimé l’ombre, l’irruption passagère d’une ombre l’inquiétait comme pouvait l’inquiéter le passage inopiné d’un nuage dans un ciel d’été si bleu alors que rien ne présageait l’arrivée d’une grisaille dont elle ne savait se défendre. Cela ressemblait à une menace, un pressentiment ou plus exactement le souvenir tourmenté d’un événement qui, s’il n’avait jamais eu lieu, aurait cependant pu advenir. Et la seule perspective ou probabilité de cet événement qu’elle ne connaissait pas l’effrayait. Une masse sombre, compacte comme ce nuage qui passait.

La femme venait de faire quelques pas sur la chaussée encore mouillée. La pluie s’était arrêtée aussi brusquement qu’elle avait commencé pour faire place aux chauds rayons du soleil de l’été naissant.

Elle repensait.

Elle s’arrêta un bref instant au milieu du trottoir obligeant les badauds à la contourner en manifestant leur mécontentement. Ils sont tous si pressés, se disait-elle, où vont-ils donc?  Où comptent-ils se rendre si vite?

Elle venait de se souvenir, revoyait cette lueur si  particulière d’une lointaine journée d’été, où ombre et lumière alternaient dans le ciel d’orage. Ce n’était pas l’orage que l’enfant craignait, se disait-elle, mais ce qu’il représentait, ce  violent surgissement de sensations enfouies, l’apparition de ce qui aurait dû rester caché et qui tentait de venir au jour.

L’enfant attendait le vent. Elle souhaitait cette bourrasque qui balayerait en quelques secondes toute menace imprécise.

L’enfant qu’elle était encore s’agitait toujours au souvenir lointain de cet affolement.

Quand on écrivait sur des pierres

Quand on écrivait sur des pierres, que chaque signe était le fruit d’une longue méditation de plusieurs centaines de milliers d’années, ou de millions d’années peut-être, qu’il fallait ramper (mais pour quelle raison obscure et encore inconnue de nous) dans des gouffres profonds à la recherche d’un trou étroit, d’une caverne, un ventre maternel suffisamment rassurant pour y inscrire signes et dessins, autant de traces d’une expérience dont nous ne pouvons rien savoir aujourd’hui même si nous poursuivons encore ce même geste maniaque et un peu sorcier d’inscrire des signes à peine différents sur d’autres supports,

Musée National de la Préhistoire Les Eyzies de Tayac

quand on écrivait sur des pierres au fond de gouffres noirs avant de retrouver la lumière,

la caresse du vent sur la peau, les entêtantes odeurs de l’air des chemins

on peut imaginer que ces hommes

(pourquoi suppose t-on  que les femmes n’écrivaient ni ne dessinaient sur les murs des cavernes),

qu’ils se mettaient alors, ces lointains ancêtres, à rêver en attendant que d’autres viennent à leur tour

ajouter d’autres traits, là la forme d’un pied, puis le visage d’une femme et enfin…

le premier mot.


Mettre à l’abri

En ouvrant « Un captif amoureux » de Jean Genet, j’ai trouvé cette phrase, une citation en forme de note manuscrite en tête des épreuves :

« Mettre à l’abri toutes les images du langage et se servir d’elles,car elles sont dans le désert, où il faut aller les chercher. »

Lorsque le quotidien m’hypnotise au point que je ne trouve rien à inventer,  que le découragement et la force d’inertie l’emportent, que la mémoire des sensations vécues se dissipe, et qu’elles s’évanouissent alors comme les rêves du petit matin…

Penser à me souvenir de cette phrase.




L’hiver 1829

L’hiver 1829

Je  ne résiste pas au plaisir de vous citer ce passage de la correspondance de la Marquise inconnue avec Chateaubriand sur les frimas  de l’hiver 1829

Madame la Marquise de V… à Chateaubriand le 23 janvier 1829 :

« L’hiver a pourtant des rigueurs extraordinaires ; cette nuit, il est tombé près de deux pieds de neige, et me voilà renfermée pour quelques jours.(…) On ne voit ni ciel, ni terre, ni rivière, ni montagnes ; on ne distingue plus que quelques traits noirs sur la blancheur de la neige ; l’horizon est à dix pas. Les eaux sont enchaînées ; nul vent ne souffle. On n’entend point de bruit. L’air est glacé. Mais mon cœur joyeux bat plus vite, à l’espoir de votre prochain retour qui m’est encore rendu, et ce deuil de la nature n’offre à mes regards satisfaits qu’un spectacle agréable et nouveau. Un feu brillant égaie ma chambre. De gros bouquets de roses, de narcisses, et de violettes, en parfument l’air, et mon cher Piétrino , ravi de me revoir, chante sa plus longue chanson de montagne. »

Piétrino est un rouge-gorge qui vient rendre visite l’hiver à la Marquise comme elle le précise ensuite.

Mais que valait le pied à cette époque là ?

Le Moulin sous la neige

Le soleil brille à nouveau sur une ville blanchie. Le départ en voiture pour le marché de Noël de Strasbourg n’aura pas eu lieu, intempéries obligent.

Hier le moulin a failli disparaître sous la neige.

Restent les lectures possibles : « La correspondance de Chateaubriand avec la Marquise de V…»

Pierre Michon « Le roi vient quand il veut »,

les « Lettres en provenance de la nuit » de Nelly Sachs récemment traduites par Bernard Pautrat,

« Vers l’âge d’homme » de J.M. Coetzee.

J’aime la neige à Paris.

Lire ou le marché de Noël ?

Oui il fait froid et cela n’incite pas à se remuer, mais à rester chez soi, à ne pas bouger de son canapé et lire.

Mais voilà.

On ne peut pas lire toute la journée disait un de mes amis.

Mais alors on peut écrire sans doute. Un petit mot pour les autres, pour voir s’ils sont toujours là, si le ciel trop gris qui recouvre la ville ne les a pas fait fuir, au-delà des ses murs , hors de ses enceintes vers des chemins enneigés, éclatants de blancheur ou vers d’autres horizons de ciel bleu et lumineux à l’autre bout du monde. J’en connais, je vous assure.

On peut rêver d’autres horizons ou  bien faire un tour au marché de Noël…

Oui, mais alors on peut aussi lire.

Probablement…

Elle se disait…

Elle se disait que la vieillesse est le révélateur de toutes les inégalités, le lieu même de l’injustice. Les uns la traversent avec honneur et dignité tandis que d’autres, irrévocablement démunis, ont peu à peu perdu leur dignité. Sans  même s’en être aperçus, ils sont devenus des êtres dépendants, que nous refusons de reconnaître, répétant sans cesse les mêmes mots, les mêmes propos sur le temps ou sur la soupe qu’on vient de leur servir, ne se souvenant plus de qui ils étaient, de leurs goûts, de leurs préférences. Lentement, mais inexorablement ils nous rejettent de leur univers, ils ont oublié leur attachement pour nous,  nous leur sommes, nous leurs enfants, indifférents, tous les liens se sont défaits. Ils nous échappent, offusquent et choquent notre toute-puissance, notre illusion de maîtrise. Nous sommes abandonnés, seuls avec notre impuissance à les sauver de la destruction.