Écrire au 19e siècle

Voilà ce qu’écrit George Sand en octobre 1849 à une jeune femme qui venait de lui envoyer son manuscrit :

 » Mademoiselle,

Si vous êtes pressée de savoir mon opinion, je suis tout à fait désolée; car je vais être forcée de numéroter votre manuscrit au 153. C’est-à-dire que j’ai 153 manuscrits à lire, qui m’ont été envoyés depuis six mois par des personnes inconnues, et c’est ainsi tous les ans.

Comme je suis forcée de travailler pour remplir divers genres de devoirs, il m’est impossible de n’être pas affreusement en arrière. Mais, quand j’aurai lu ces 153 manuscrits, qu’en ferai-je? Trouverai-je 153 éditeurs? Trouverai-je place dans la Revue indépendante, seul journal dont je connaisse le directeur particulièrement, pour 153 manuscrits? Il en a déjà au moins 100 que je lui ai fait passer pour les lire, et je doute que plus que moi il ait le temps de le faire. Probablement, s’il en choisit un, ce sera le meilleur et je désire vivement que ce soit le vôtre. Mais, dans tous les cas, j’aurai cette année 152 ennemis de plus qui penseront, les uns que je suis jalouse de ma réputation menacée par leur succès, les autres que je suis jalouse des personnes de mon sexe. »

Et de rajouter non sans cruauté ce post-scriptum à sa lettre :

« Si votre intention est de faire reprendre votre manuscrit chez moi et que je sois absente, comme il est probable, veuillez faire réclamer le n° 153, on le trouvera cacheté et en ordre. »

On peut se demander si les choses ont beaucoup changé?
Beaucoup de gens écrivaient.
Des femmes aussi, pour se voir adresser le même refus à peine poli et cruel alors qu’ils caressaient l’espoir d’être lus et publiés.

Ici c’est de la part de George Sand, une femme émancipée, libre, une des premières à avoir imposé une séparation à son mari, mais restant néanmoins sous tutelle en ce qui concernait son argent et ses biens, une femme de lettres reconnue.

Mais voilà tout cela se passe bien avant la lecture sur l’IPad ou le Kindle, avant l’édition numérique, qui aurait peut-être changé la vie de cette jeune femme et de bien d’autres auteurs, peut-être pas des écrivains,nous ne le saurons, mais des gens ayant l’envie de s’exprimer et d’écrire.

Aujourd’hui c’est sur un Ipad que j’ai accès à la correspondance de George Sand tandis que le débat sur le numérique bat son plein.

La première page

Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais la première page d’un roman a très souvent le pouvoir de me révéler un grand romancier ou un grand écrivain.

Ceux qui écrivent connaissent cette difficulté de trouver le bon début dans toutes les pages écrites, dans cet amoncellement de mots pas toujours dans le bon ordre. Il faut assembler, couper, déplacer des pans entiers.

Je me souviens de ces premières pages qui sont des prémisses d’un plaisir intense. Proust bien sûr mais aussi  « L’homme sans qualités » de Musil. Vous souvenez-vous :

« On signalait une dépression au-dessus de l’Atlantique; elle se déplaçait d’ouest en est en direction d’un anticyclone situé au-dessus de la Russie, et ne manifestait encore aucune tendance à l’éviter par le nord. »

C’est ce qui arrive avec les romans de Louise Erdrich :

 » Le fusil s’enraya après le premier coup de feu et le bébé resta debout, cramponné aux bords du berceau, les yeux fous, hurlant à plein poumons. « 

Et là, on se plaît à s’imaginer une chambre d’hôtel où sans être dérangé on pourra lire d’un trait ce roman jusqu’à la dernière page.

( « La malédiction des colombes » Louise Erdrich).


L’hiver 1829

L’hiver 1829

Je  ne résiste pas au plaisir de vous citer ce passage de la correspondance de la Marquise inconnue avec Chateaubriand sur les frimas  de l’hiver 1829

Madame la Marquise de V… à Chateaubriand le 23 janvier 1829 :

« L’hiver a pourtant des rigueurs extraordinaires ; cette nuit, il est tombé près de deux pieds de neige, et me voilà renfermée pour quelques jours.(…) On ne voit ni ciel, ni terre, ni rivière, ni montagnes ; on ne distingue plus que quelques traits noirs sur la blancheur de la neige ; l’horizon est à dix pas. Les eaux sont enchaînées ; nul vent ne souffle. On n’entend point de bruit. L’air est glacé. Mais mon cœur joyeux bat plus vite, à l’espoir de votre prochain retour qui m’est encore rendu, et ce deuil de la nature n’offre à mes regards satisfaits qu’un spectacle agréable et nouveau. Un feu brillant égaie ma chambre. De gros bouquets de roses, de narcisses, et de violettes, en parfument l’air, et mon cher Piétrino , ravi de me revoir, chante sa plus longue chanson de montagne. »

Piétrino est un rouge-gorge qui vient rendre visite l’hiver à la Marquise comme elle le précise ensuite.

Mais que valait le pied à cette époque là ?

Le Moulin sous la neige

Le soleil brille à nouveau sur une ville blanchie. Le départ en voiture pour le marché de Noël de Strasbourg n’aura pas eu lieu, intempéries obligent.

Hier le moulin a failli disparaître sous la neige.

Restent les lectures possibles : « La correspondance de Chateaubriand avec la Marquise de V…»

Pierre Michon « Le roi vient quand il veut »,

les « Lettres en provenance de la nuit » de Nelly Sachs récemment traduites par Bernard Pautrat,

« Vers l’âge d’homme » de J.M. Coetzee.

J’aime la neige à Paris.

Lire ou le marché de Noël ?

Oui il fait froid et cela n’incite pas à se remuer, mais à rester chez soi, à ne pas bouger de son canapé et lire.

Mais voilà.

On ne peut pas lire toute la journée disait un de mes amis.

Mais alors on peut écrire sans doute. Un petit mot pour les autres, pour voir s’ils sont toujours là, si le ciel trop gris qui recouvre la ville ne les a pas fait fuir, au-delà des ses murs , hors de ses enceintes vers des chemins enneigés, éclatants de blancheur ou vers d’autres horizons de ciel bleu et lumineux à l’autre bout du monde. J’en connais, je vous assure.

On peut rêver d’autres horizons ou  bien faire un tour au marché de Noël…

Oui, mais alors on peut aussi lire.

Probablement…

Elle se disait…

Elle se disait que la vieillesse est le révélateur de toutes les inégalités, le lieu même de l’injustice. Les uns la traversent avec honneur et dignité tandis que d’autres, irrévocablement démunis, ont peu à peu perdu leur dignité. Sans  même s’en être aperçus, ils sont devenus des êtres dépendants, que nous refusons de reconnaître, répétant sans cesse les mêmes mots, les mêmes propos sur le temps ou sur la soupe qu’on vient de leur servir, ne se souvenant plus de qui ils étaient, de leurs goûts, de leurs préférences. Lentement, mais inexorablement ils nous rejettent de leur univers, ils ont oublié leur attachement pour nous,  nous leur sommes, nous leurs enfants, indifférents, tous les liens se sont défaits. Ils nous échappent, offusquent et choquent notre toute-puissance, notre illusion de maîtrise. Nous sommes abandonnés, seuls avec notre impuissance à les sauver de la destruction.

De l’Allemagne

Elle marche dans les villes allemandes.

Le long du Neckar, elle suit du regard la ligne de l’eau et des collines boisées.

À Heidelberg la tranquille, elle laisse l’apaisement s’installer doucement en suivant les contours des paysages.

Mannheim. Würzburg. Rothenburg. Une partie d’elle-même répandue dans ces paysages dits « romantiques ». Des ruelles aux façades préservées, maintenues dans une identité historique  abusive contrastent avec des rues d’une largeur démesurée entièrement reconstruites après les bombardements alliés de 1945. Elle traverse ce choc des mémoires, lit  les récits  commémoratifs, regarde les images des ruines qui tapissent les murs d’une salle d’exposition où figure aussi la maquette de la ville au lendemain des bombardements alliés. Würzburg après le 9 mars 1945.  Elle évite d’écouter les commentaires de deux couples allemands regardant les photographies placardées aux murs, le discours d’un maire de la ville, mais ne peut éviter d’entendre les exclamations de stupéfaction et d’horreur. Sa gêne, son malaise la poussent à abréger sa visite. Les morts civils, femmes et enfants contre les morts des camps de concentration gazés et exterminés. Une comparaison insupportable.

L’Allemagne, se dit-elle, a peu de morts héroïques à présenter à sa conscience. Elle se souvient de G.W. Sebald, un des premiers écrivains allemands à avoir déploré les morts et les destructions des bombardements alliés, et à avoir été accusé par des universitaires américains de « négationnisme ».


Une histoire qui colle à la peau

Revu  l’autre soir « Les fraises sauvages » de Bergman à la télévision.  Quel beau film, toujours visible en 2010,  le portrait sans complaisance d’un vieil homme trop rigide et peu sensible à son entourage,  son voyage entre le présent et les images de son enfance auxquelles il assite en tant que témoin vieilli.

Pas une ride malgré le passage du temps.

J’avais vu il y a peu à Montreuil une pièce d’Isabelle Rèbre interprétée par Bernard Bloch sur les derniers jours de Bergman, j’ai repensé à l’écriture très fine d’Isabelle Rèbre et de sa pièce en chantier qui dégage une atmosphère entre Tchékhov et Strindberg.

Je suis allée écouter hier Bernard Bloch ( un peu de publicité pour mes amis strasbourgeois) dans sa très belle lecture de son adaptation théâtrale du texte de Kertész à l’institut hongrois «  Le chercheur de traces » qu’il montera l’année prochaine au Centre dramatique National de Dijon. Un très bon moment en compagnie d’un texte qui ne peut laisser indifférent sur les traces, le passage du temps et la mémoire des lieux  douloureux du passé ?

J’ai lu aussi ces jours-ci le livre de Pascale Hugues sur ses deux grands-mères, l’une alsacienne, Marthe et l’autre allemande, Mathilde. Elles ont changé quatre fois de nationalités. Mes deux grands-mères à moi étaient alsaciennes et ont aussi changé quatre fois de nationalité comme tous ceux nés en Alsace avant 1918. Un livre à lire absolument pour tous ceux qui s’intéressent à cette histoire et à cette région.

J’en reparlerai sûrement puisque c’est aussi mon histoire, celle qui me colle à la peau, une histoire de passage et de frontière, une histoire de traces indélébiles.