Le voyage à Brest

« Écrire est l’acte le moins pessimiste qui soit.  » Georges Perros ( Papiers collés)

Le train m’emporte vers l’Ouest. Il est à peine 7 heures et il fait encore nuit. Quelques lumières parsemées dans la nuit sur la ville.
Gare de Laval. Un épais brouillard gris s’étend sur la campagne environnante. Le soleil ne se lèvera qu’à 8h53. Nous sommes en hiver. Le train repart. Lorsque la lumière perce un peu on voit une blancheur givrée recouvrir les arbres, quelques lueurs roses dans le lointain, au-dessus d’une église, le brouillard se dissipe par endroits puis réapparait un peu plus loin.
Des villages endormis, des campagnes désertes, rien n’a encore commencé. Le monde retient son souffle, le froid pétrifie toute velléité d’action.
Rennes. Température annoncée -2° mais le soleil se montre généreusement.
Lamballe. Un paysage blanc de givre sous un ciel lumineux.
Saint-Brieuc dans le brouillard,
Guingamp sous un grand soleil,
Morlaix grand soleil,
Puis Brest sous la grisaille.
Ensuite il y aura une côte découpée, la mer, de gros rochers qui tombent dans les flots et l’écume des vagues, le gris des pierres des églises et des calvaires, un phare, des toits gris au-dessus de volets bleus, des embruns picotant le visage, une maison accueillante.
Mais tant d’autres images surgissant au détour d’une rue, à la vue d’un rocher.
Écrire un voyage, des paysages vus, des impressions, tout ce tumulte d’images restées au fond de mes yeux, emportées à la fin, et qui de temps à autre, les jours suivants ou bien plus tard viendront interférer comme des flash-backs, des réminiscences et se superposer aux autres, dans la rue, dans un magasin partout où mes pas m’emporteront, ravivées par une couleur particulière, par une ligne courbe, ou par cette sensation de vent frais sur ma peau. Elles seront là en masse prêtes à jaillir de ce carrousel étourdissant avec toutes leurs couleurs.
Alors on écrit pour retrouver de telles images, pour qu’elles ne s’évanouissent pas, à moins que ce ne soit pour empêcher que d’autres images ne viennent les recouvrir, celles qu’on ne veut plus ou pas voir, sorties directement de notre imagination ou de notre mémoire agitée et trop pleine, les images refoulées et refusées. Ce flot continu d’images venues de tous les confins de la mémoire, des bas-fonds et des coins les plus sombres et reculés de notre parcours.
Combien d’images emmagasinons-nous ainsi au fil des jours, tapissant notre mémoire, se mêlant à toutes nos expériences, nos aventures intimes pour les colorer?
Écrire un voyage est-ce décrire ce voyage, avec toutes ses anecdotes, ses péripéties, est-ce la transmission de tous les paysages vues, le kaléidoscope d’autres expériences plus anciennes?
Est-ce que ce que je vois est vrai? Ai-je atteins le vrai dans mon récit?
Qu’ai-je au juste saisi ?

Suis-je à la recherche d’une image manquante, une image oubliée et soigneusement cachée?

Plougastel-Daoula


2015-01-04 à 16-46-10 - 2015-01-04 à 16-46-10

Plougonvelin


2015-01-04 à 16-46-19 - 2015-01-04 à 16-46-19

Plougonvelin


2015-01-04 à 17-56-31 - 2015-01-04 à 17-56-31

La pointe Saint Mathieu

J’ai quitté la Sicile

J’ai quitté la Sicile il y a quelques jours seulement.

Je n’oublie rien de cette  terre de souvenirs où tant de civilisations se sont superposées en strates successives, où tant de peuples ont laissé leurs empreintes sur les chemins, dans les paysages, sur des visages où se reflètent encore les traits anciens, dans les regards tournés vers des lointains de la mémoire , où l’on sent pointer, affleurer sans cesse des souvenirs toujours vivants et se propager à nos oreilles comme un bruissement, le murmure du temps,et  où notre histoire joue à cache cache dans les plis et les replis du relief

Ma mémoire laisse émerger tout ce que je ne savais pas qu’elle tenait jalousement renfermée, ce qu’elle protégeait à mon insu, tant de rencontres, de frôlements imperceptibles d’êtres qui chuchotent sur mon passage  et laissent échapper des sonorités anciennes que je ne déchiffre plus. La tête me tourne à penser à ces milliers d’existences, aux mots oubliés et perdus de toutes ces langues que les vents ont portées.

Je n’oublie rien de la Sicile.

 

Chaque pas que je fais soulève une poussière d’images libérées des lampes magiques des contes de fée,

Selinonte

autour de moi des bateaux phéniciens voguent encore sur les mers,

et mon pied heurte des pierres polies par des hordes d’envahisseurs au cours des siècles,

le vent transporte des langues et des dialectes de ces peuples qui cherchent encore à nous transmettre le souvenir de leur existence.

Non je n’oublie rien de la Sicile.

Copenhague

Les premières impressions d’un lieu que l’on découvre dévoilent des territoires qui nous sont inconnus, étrangers à ce que nous sommes ou croyons être. Une ville dans un pays  ignoré jusque là, méconnu probablement et nous voilà devant des étendues nouvelles à apprivoiser.

« S vous prenez une carte du Danemark et que vous y jetez un oeil, vous verrez que la péninsule du Jutland, au nord, se finit en pointe et que les deux Mers se rencontrent autour de cette pointe. Je crois que c’est un phénomène unique au monde. C’est là que je me trouve, dans un petit hôtel, à travailler comme une esclave, et j’espère pouvoir terminer mon livre ici dans quelques mois. » Karen Blixen à propos de  » La ferme africaine » dans Lettres du Danemark (1931-1962).

Ainsi ne cessons nous de nous demander où nous nous trouvons exactement dans ce pays. Face à la mer du Nord? Devant la Baltique? Au bord du détroit de l’ Øresund ? Comment se situer devant ce « phénomène unique au monde », dans ce lieu où les édifices eux mêmes  semblent suspendus entre les eaux de deux mers.

Je maintiens mon équilibre dans les rues de la ville entre le froid qui me surprend à cette époque de douceur automnale et le vent qui s’engouffre par rafales,  et j’avance à la recherche de lieux que je pourrais nommer.

Vue sur Copenhague depuis l’avion

Jour de pluie à  Copenhague

Nyhavn

Skuespilhuset ( Royal Danish Playhouse)

resund depuis le Louisiana

Vue sur l’Øreseund depuis le Louisiana

Vue sur l’Øresund depuis le Louisiana

 

Une décision troublante

Comment une décision prise peut-elle nous faire vaciller au point de nous faire perdre une nuit de sommeil, provoquer une telle incertitude, voilà ce que je me demande le matin au réveil alors que l’appréhension fait peu à peu place à la perspective du plaisir de la découverte, de la révélation qu’amènera ma décision de partir en voyage, loin, à l’autre bout du monde, vers un continent où je ne suis jamais allée.

Comme si j’étais déjà au moment de prendre cette décision arrachée à mon univers familier, transportée dans l’instant même dans un ailleurs dérangeant et bouleversant. D’avoir fait surgir cet inconnu en moi simplement en prenant un billet d’avion, me dérange et me déstabilise.

Je suis étonnée, bouleversée même par la découverte de ce désir de vouloir partir que je ne soupçonnais pas. Une douloureuse envie de s’arracher.

J’ai dû connaître d’autres moments de ce genre dans ma vie, de ces moments où brusquement s’ouvre un gouffre qui nous révèle parfois cruellement que nous ne sommes pas entièrement ce que nous croyons être, que notre discours sur nous-mêmes trahit une autre réalité cachée. Mais il est vrai qu’après l’instant du vacillement vient la découverte du plaisir d’avoir simplement osé.

Des pierres sur les sentiers de montagne

Récemment descendue des cimes des Pyrénées, je reprends mon souffle dans les rues et sur le macadam de la grande ville.

Fini l’effort parfois douloureux, finis les encouragements que l’on se fait pour tenir pendant les longues heures de marche dans la neige, sur les roches branlantes, dans l’eau des cascades qui se déverse et sur les cailloux qui roulent sous le pied.    Fini de chercher son équilibre à chaque pas. Fini de s’encourager : « il suffit de mettre un pied devant l’autre et l’on arrivera bien à un moment ou à un autre ». Finies aussi les découvertes de paysages gigantesques ; murailles de pierres à Ordessa, Gavarnie, fini de lever les yeux et d’être transportée par cette présence rocheuse qui m’entoure et par l’immensité du ciel ou de les baisser sur ces champs d’edelweiss inattendus tant ils sont nombreux.


Il me faut à présent retrouver l’énergie et le souffle nécessaires pour jeter des mots tout au long de mes chemins à venir comme ces pierres jalonnant les sentiers de montagne sur lesquelles je cherche avec précaution un appui pour avancer.



En marchant sous la pluie


Que devenons-nous lorsque nous partons en voyage ?

Je laisse quelque chose, peut-être même une grande partie de moi-même quand je quitte mon appartement, avec mon sac de randonnée sur le dos après avoir jeté un dernier regard angoissé sur ce que je n’emporte pas. Tout ce que je suis bien obligée de laisser derrière moi. Les moindres grammes pèsent lorsque l’on marche plusieurs jours.

Mais qu’ai-je laissé dans mon antre que je ne pouvais emporter ? Retrouverai-je ce quelque chose que je ne connais pas à mon retour, où l’aurais-je malgré moi transporté sans le savoir. Est-ce pour cela que je cherche dans la photo à trouver un peu de cet inconnu qui m’a échappé ?